Qu'est-ce que Matrix ?

 

CONTESTATION

Matrix s'oppose à cette "réalité" et se charge de replacer l'humain au centre du monde, tandis que Matrix Reloaded le place face à ses responsabilités, par le biais de la thématique du choix et de la motivation.

Matrix propose donc une autre voie et nous dit en substance : "Ce monde n'est pas une fatalité; vous avez le pouvoir de le changer, et vous en avez le devoir. Les règles qu'on vous a inculquées comme étant naturelles sont totalement artificielles. Vous pouvez les contourner et les retourner contre ce système." Un propos subversif qui rejoint donc totalement la contestation grandissante des mouvements dits alter-mondialistes, opposés à une société soumise aux intérêts financiers d'une infime minorité.

La description de Zion (dernier bastion de l'humanité face aux machines, que l'on découvre dans Matrix Reloaded après en avoir entendu parler dans Matrix), est donc loin d'être anodine et évoque fortement ce fameux "village mondial" alternatif, communautaire et festif, fortement métissé (reflétant les proportions des populations de la planète), et par là-même égalitaire (dans la mesure où il évacue l'idée qu'une minorité occidentale domine et exploite le reste du monde).

Il est d'ailleurs intéressant de recenser les innombrables emprunts de Matrix (et plus encore de Matrix Reloaded) aux différentes cultures du monde. Toutes les grandes cultures semblent représentées d'une manière ou d'une autre dans ces films, mais une --et une seule-- d'entre elles est indissociablement liée à la Matrice : la culture américaine. Principale illustration de cette idée : les "agents", forces de l'ordre de la Matrice, sont dépeints comme une sorte d'archétype de l'agent du FBI. Comment ne pas faire de parallèle avec les USA, gardiens auto-proclamés du "monde libre" et surtout de l'ordre capitaliste ? Et pourtant ce sont les "méchants" du film ! C'est sur eux qu'il faut tirer, c'est leur camp qu'il faut combattre !

La lutte contre l'agent Smith a une signification plus particulière. Dans Matrix, Smith est principalement perçu comme un agent parmis d'autres, rien de plus qu'un programme de contrôle de la Matrice. Cependant, bien qu'il ne dévie pas fondamentalement de ce rôle durant le film, il va progressivement se distinguer des autres agents. D'abord par son nom (les autres agents n'en ont pas, ou en tout cas nous l'ignorons), bien qu'on puisse supposer que ce nom soit avant tout une forme de plaisanterie de sa part ("Smith" étant l'exemple-type du nom de famille ordinaire dans le monde anglophone) en même temps qu'un symbole du caractère anonyme et impersonnel des agents, et par extension un symbole du caractère insaisissable du système de contrôle de la société, qui imprègne et peut s'exprimer par chaque individu relié à elle.

Mais aussi (et surtout), Smith se distingue de ses "collègues de travail" par sa grande implication émotionnelle dans la traque qu'il mène contre Morpheus et son groupe (tandis que les autres agents conservent une attitude neutre et impersonnelle quels que soient les événements auxquels ils font face). Cette caractéristique atteint probablement son sommet lors de l'interrogatoire de Morpheus, lorsque Smith demande à rester seul avec le prisonnier, coupe la communication qui le relie aux autres agents et à la Matrice (son oreillette), et s'adresse de façon très informelle à Morpheus. Smith exprime alors une gamme d'émotion très primaires (colère, dégoût) et avoue ne plus supporter l'odeur des humains, qui imprègne selon lui la Matrice. Si l'on considère que l'odorat est, en terme d'évolution du règne animal, l'un des sens qui est apparu le plus tôt, autrement dit l'un des sens les plus primitifs et les plus intimement liés aux émotions, on comprend vite qu'il y a une grosse contradiction avec la nature sophistiquée qui est censée être celle de Smith, programme informatique perfectionné qui devrait être totalement indépendant des "caprices de la chair". "Infecté" (son propre terme) par cette odeur, Smith ressent des émotions qu'il n'est pas censé ressentir et qu'il ne veut pas ressentir. Il veut "sortir de là" et c'est cette motivation qui le guide durant tout le film.

Smith est donc, pourrait-on dire, un bug du système, un important dysfonctionnement : un programme qui agit pour des motivations personnelles. A savoir : son propre confort.

Après avoir été détruit par Neo (à la fin de Matrix), Smith réapparaît, "libéré de la Matrice" nous dit-il (encore le symbole de l'oreillette, dont il est cette fois-ci définitivement débarassé) et doté de la capacité de "parasiter" les éléments de celle-ci pour se dupliquer. Neo se retrouve donc confronté à un nombre toujours croissant d'agents identiques qui menacent de le submerger par le nombre, et la bande-annonce de Matrix Revolution laisse entrevoir une escalade dans ce sens. Il n'est pas difficile de voir là un combat contre l'uniformisation des individus de notre société, un combat contre le conformisme, ou encore contre la globalisation économique mondiale. Le fait que Smith ne soit plus inféodé à la Matrice évoque l'idée d'un marché dérèglementé, dans lequel le plus fort "phagocyte" les plus faibles sans autre forme de procès, sans contrôle. La diversité disparaît tandis que s'étend la domination du plus puissant ("Je veux tout" déclare Smith à Neo), qui ne vise qu'à assurer... son propre confort.

Cette lutte de Neo contre Smith n'est donc pas qu'un épisode distrayant mais joue bel et bien un rôle important dans la métaphore du film. Elle est d'ailleurs présentée (dans la bande-annonce de Matrix Revolutions) comme un élément crucial du scénario et de la victoire des humains sur les machines. Tout ceci vient renforcer la vision de Zion comme symbole des mouvements alter-mondialistes.

 

La suite

Retour au sommaire

 

Vincent Clavien
juin 2003